2019 Réutiliser le passé dans l’Antiquité grecque. Étude des phénomènes mémoriels à Rhodes et dans le Dodécanèse entre le XVe et le Ve avant J.-C. Nationalité: France
Catégorie: Histoire de l’art antique
Présentation de la recherche et résultats

La recherche porte sur l’impact de la mémoire sur la construction identitaire des sociétés, grâce à l’analyse des différentes formes de réutilisation du passé. Le cadre géographique est le Dodécanèse avec une focalisation importante sur l’île de Rhodes, sur une large période comprise entre l’âge du Bronze récent et l’époque classique (XVe-Ve siècle avant J.-C.). L’ensemble des réutilisations du passé perceptibles au sein des contextes archéologiques est pris en considération. Cette « matérialité de la mémoire » est principalement étudiée par le biais de la longue conservation d’artéfacts, mais prend également en compte la réutilisation des ruines, l’installation progressive de cultes dédiés aux ancêtres et aux héros, ainsi que l’aménagement du paysage et la continuité d’occupation de certains sites. La position charnière des îles du Dodécanèse, à la limite orientale du monde égéen, permet d’analyser les possibles influences orientales dans ce phénomène.

Après un état des lieux complet des données archéologiques pour chacune des îles du Dodécanèse, soulignant la disparité à la fois quantitative et qualitative des connaissances selon les contextes considérés, une base de données des antiquités rassemble et décrit les artéfacts conservés sur le long terme au sein de leur contexte de découverte. La mise en parallèle avec le catalogue établi lors de la recherche doctorale montre que les typologies des objets du Dodécanèse ne présentent pas de différences fondamentales avec celles conservées dans le reste du monde égéen. Certains éléments répondent même assez justement à des phénomènes déjà relevés dans des sites de Grèce continentale, de Crète et des Cyclades. Certes, on note l’absence de contextes domestiques dans le corpus, dû à un manque de fouilles et de données fiables. Le corpus rassemblé provient principalement des nécropoles, mieux fouillées et datées ; tandis que des sanctuaires rhodiens ont également fourni des données intéressantes.

Les phénomènes mémoriels font, eux aussi, l’objet d’une étude. La pratique de la réutilisation d’anciennes sépultures, qui semble la norme dans la nécropole de Ialysos (Rhodes), doit être considérée comme un acte destiné à forger une identité à la fois personnelle et collective, en puisant dans un réseau d’images et de gestes issus du passé. La nécropole de Kos, à proximité immédiate de ruines mycéniennes, permet d’ancrer et de renforcer les structures sociales mais aussi d’invoquer la fonction apotropaïque du lieu. Le choix d’implantation de ces espaces funéraires doit être considéré comme un élément destiné à consolider et structurer les communautés, et à plus grande échelle à fédérer la mémoire sociale des groupes régionaux. Cela vient contrebalancer l’absence de traces avérées de cultes aux ancêtres ou aux héros au sein de ces nécropoles, phénomène bien connu en Grèce continentale.

Les antiquités mises au jour dans les sanctuaires répondent à deux fonctions principales : soit elles ont été utilisées lors de la pratique du culte, soit elles ont revêtu le rôle d’offrandes votives. Dans les sanctuaires urbains de Camiros et Lindos, elles ont également pu servir à ancrer le culte et le sanctuaire dans un passé plus ou moins lointain ; tandis que dans le sanctuaire extra-urbain de Zeus Attavyros, la dédicace peut être un moyen de compétition entre les membres de diverses communautés, ou au contraire un facteur de cohésion. Toutefois, leur nombre relativement restreint incite à considérer que les sanctuaires du Dodécanèse, au contraire des tendances dessinées pour le reste du monde égéen, ne sont pas des lieux privilégiés d’exposition et de conservation des antiquités.

Enfin, la provenance « exotique » de certaines de ces antiquités (Égypte, Chypre et Syrie du Nord) rappelle les pratiques connues ailleurs dans le monde égéen et montre la place essentielle du Dodécanèse, et plus particulièrement de Rhodes, dans la diffusion de ces exotica. Les transferts se font également dans l’autre sens, des antiquités de production égéennes ayant été mises au jour dans des contextes funéraires à Rhodes. Cela montre que la « fabrique » des antiquités repose à la fois sur les productions locales mais aussi les productions exogènes et endogènes au monde égéen. La prépondérance de productions se rapportant au mode de vie des élites montre que la mémoire sert majoritairement les stratégies de légitimation et d’affirmation des statuts sociaux dominants.

Biographie

Après une licence en Archéologie à l’Université de Strasbourg, Claire Camberlein a intégré le parcours de master « Archéologie des Mondes Anciens » avec un sujet de mémoire intitulé : « Les objets de mémoire en Crète de l’époque mycénienne à l’époque hellénistique ». Ce sujet, peu traité jusqu’alors, s’inscrivait dans une mouvance récente du monde de la recherche et a fait l’objet d’un élargissement dans le cadre de sa thèse de doctorat, menée au sein de l’UMR 7044 Archimède grâce à l’obtention d’un contrat doctoral. Intitulée « Mémoire, identité et paysage dans le monde égéen entre le XIIe et le VIIe siècle », elle a été menée sous la direction du professeur Daniela Novaro-Lefevre et soutenue en novembre 2017. Sa recherche doctorale a bénéficié de bourses de recherche de l’École française d’Athènes (2014 et 2016), puis a été récompensée par deux prix de thèses : celui de la Société des Amis des Universités de l’Académie de Strasbourg, et celui de la Fondation du Chapitre de Saint-Thomas (2018). Chercheur associée à l’UMR Archimède, elle a enseigné à l’Université populaire européenne (2017/2018 et 2018/2019) et a participé au jury de soutenance de master, tout en continuant à participer à des chantiers de fouilles archéologiques en Grèce, menés par l’École française d’Athènes. Aujourd’hui bibliothécaire d’État à la Bibliothèque des Langues et Civilisations (Paris), elle continue en parallèle ses recherches scientifiques et participe activement à la vie de son laboratoire en s’impliquant dans plusieurs projets éditoriaux.

Résultats de la recherche

Publications :

  • Claire Camberlein (à paraître), « Les enjeux de la mémoire rhodienne : l’exemple de l’acropole de Lindos ».
  • Claire Camberlein (en cours de rédaction), « Entre le sanctuaire et la tombe : étude et mise en perspective des antiques mises au jour à Camiros (Rhodes) ».
  • Claire Camberlein et al. (à paraître), « La tradition et sa transmission : positionnements théoriques », Archimède : archéologie et histoire ancienne 8, Dossier : Tradition et Transmission dans l’Antiquité : approches interdisciplinaires.
  • Claire Camberlein, 2020, « Offrir l’antique à la divinité. L’exemple de l’adyton du sanctuaire de Vryokastro sur l’île de Kythnos (Cyclades) », Archimède : archéologie et histoire ancienne 7, Dossier : Gestes rituels. De la trace à l’interprétation, p. 23-36.

Communications :

  • Mars 2019 : « Transmettre la mémoire, transmettre le pouvoir ? Étude croisée des antiquités déposées en contexte funéraire en Grèce et en Europe nord-alpine à l’âge du Fer », Ve Rencontres de l’École européenne de protohistoire de Bibracte.
  • Octobre 2019 : Claire Camberlein, Thibault Foulon & Efstathia Dionysopoulou : « Introduction à la journée d’étude Tradition et Transmission dans l’Antiquité» ; et « Conclusion de la journée d’étude Tradition et Transmission dans l’Antiquité ».

Logo de la présentation : Sceau de Camiros. Copyright British Museum CC BY-NC-SA